Article à publier dans le journal de la Sorbonne - Paris 4
C'est au détour d'une rue de mon quartier que je me suis demandé pour la première fois s'il y avait une stigmatisation de l'immigré en France. Le terme en lui-même est équivoque. L'histoire vous démontre qu'il y a d'une part l'homme venu d'ailleurs, qui s'intègre au pays d'accueil et tente par tous les moyens de s'en sortir ; de l'autre, l'image plus récente d'un rebelle, souvent jeune, cultivant un sentiment d'exclusion et stimulant le combat culturel au sein de la nation qu'il intègre. Il s'agit en réalité d'un enchaînement chronologique. L'après-guerre, et plus particulièrement la décennie post-guerre d'Algérie, est marquée par une immigration ouvrière venue du Maghreb et d'Afrique sub-saharienne, entraînant des mouvements d'hommes isolés à la recherche d'un emploi en métropole pour subvenir aux besoins de la famille restée au pays. Les décrets de 1976, favorisant le regroupement familial, voient l'arrivée massive de fils et d'épouses venant rejoindre les hommes. Mais dès 1972, la France avait cessé la régularisation automatique pour les immigrés travailleurs, augmentant ainsi le nombre de situations irrégulières à date d'expiration des titres de séjour. En conséquence, ce sont les fils qui portent la rancoeur d'une politique de maîtrise des flux migratoires qui exclue leurs pères, leurs familles et, plus généralement, leurs communautés. Les pères se sont battus pour travailler en France et s'apparenter à la métropole ; les fils se battent pour faire respecter ces valeurs, d'autant plus qu'elles n'ont pas objectivement conduit à une folle intégration de cette population immigrée, ne lui ouvrant pas des postes clefs ni des perspectives d'avenir très diversifiées (à nuancer à l'heure actuelle puisque plus du quart des immigrés en France possède un diplôme de l'enseignement supérieur). Les fils portent en eux le sentiment d'exclusion de leurs parents mais, contrairement à eux, y réagissent par l'extrémisme et la colère, prônant une sorte de guérilla sociale et raciale pour les plus virulents d'entre eux. Du côté des métropolitains, on s'enracine dans l'expression "français de souche" comme dans une pâte à modeler multiforme, qu'on peut ressortir dans toute situation figée et qu'on peut plaquer comme un modèle... modelé. Désormais, l'immigré est l'étranger : qu'il tente de s'intégrer ou non, il est le bienvenu à condition de se plier aux règles de la patrie, aux normes "gauloises", terme revenu à la mode depuis quelque temps. La vérité est que les Français ne connaissent ni leur histoire, ni leurs ancêtres, ni leur métissage, ni les grandes dates fondatrices de leur peuple ; mais ils l'affichent comme une légitimité absolue face aux "autres"... on pourrait presque dire, face à autrui, et on tomberait dans un débat philosophique sur la recherche du moi. Croyez-le ou non, pour un "français de souche" (expression consacrée), il est plus exaspérant de se faire dépasser dans une file d'attente par un noir que par un blanc. Le blanc est impoli, mal élevé, grossier, tout ce que vous voudrez ; le noir, lui, fait partie d'une communauté de sans-gênes qui ne respectent rien, "question de culture". Il n'y a pas de tentative de compréhension de l'histoire parce que l'histoire n'intéresse plus : il y a un culte du présent, de l' "ici et maintenant", qui empêche une prise de recul à la fois absolument nécessaire et absolument impossible, et qui consisterait à tenter une intégration sociale de nos enfants d'immigrés au nom des années de main mise gouvernementale de la France sur leurs pays respectifs. Mais non, ces gens ont voulu l'indépendance, "et maintenant ils n'assument pas", c'est le discours du Front National, diablement efficace. Nulle issue morale possible, donc, pour les trouble-fête du patriotisme français. Siffler la marseillaise était l'insulte suprême : c'était irrespectueux, certes, mais qui a cherché à comprendre pourquoi on s'est permis un tel affront? Ne me faites pas dire le contraire de mes paroles. Je ne justifie pas. Je tente de comprendre, contrairement à la plupart de mes compatriotes, qui ne savent ni pourquoi ils ressentent de la haine envers les ennemis de leur identité nationale (expression également très à la mode), ni pourquoi ils ressentent malgré tout une certaine révolte face aux traitement infligé aux immigrés, ceux qui traînent Boulevard Barbès, ceux qui mendient à Clignancourt, ceux qui rentrent le soir dans leurs squats surpeuplés. Cela s'explique tout d'abord par le président, qui ne fait pas l'unanimité : il n'est pas le patriote parfait, il divise les foules, d'où une contestation à la fois généralisée et disséminée sur tout le territoire de sa politique intérieure. Un personnage comme de Gaulle, malgré les scandales liés à la politique algérienne, n'aurait pas créé un tel climat de conflit racial et social à l'intérieur même de la métropole. D'autre part, il s'agit de médiatisation. Parler d'immigration, de race, de couleur, de patriotisme, de religion ou de confession est désormais tabou. Il existe donc une gêne réelle, un malaise lié aux affiches, aux associations, aux spots publicitaires contre le racisme, la violence, l'exclusion. Un "noir" passe mieux s'il est "black" ; un "arabe" sera plutôt un "reubeu" ou un "maghrébin". Pourtant, le tabou est l'occasion de manipulation de la phobie sociale. Récemment aux informations, j'apprends qu'un couple de "parisiens" (entendez français, blancs) s'est fait assassiner à son domicile, à deux rues de chez moi dans le 18ème arrondissement, par un individu "grand, de physionomie d'Afrique du Nord". Edifiant. On prend un qualificatif de description physique afin de prétexter une recherche de suspect (soi disant, on donne des détails physiques pour que vous nous aidiez à le retrouver, donc si quelqu'un le croise, merci de demander gentiment à l'assassin de vous suivre au poste de police le plus proche) alors qu'en fait, on est en train de dire textuellement : "de nouveau, un arabe a profité de sa force pour frapper". Mais vous ne pouvez pas nous accuser de dire ça, car on a seulement précisé qu'il avait un physique "d'Afrique du Nord". Mais bon, peut-être était-ce un polonais qui revenait de deux mois sur la Côte d'Azur. Et tant qu'à faire, on ne précisera pas le pays concerné (Algérie? Maroc? Tunisie? à vous de trouver, contacter le 3625, 0,50 euro par appel + coût d'un sms), histoire de globaliser la frayeur des "maghrébins". Et c'est ainsi qu'en une phrase, dans le journal, on entretient la phobie sociale de l'étranger qui vient perturber notre petit train train quotidien patriotique. Les films et les documentaires qui dénoncent le traitement des immigrés, des clandestins, des rapatriés, sont nombreux : pourtant, ils ne conduisent à rien de concret. En les regardant, le blanc va s'insurger quelques minutes. Il va critiquer un peu son gouvernement. Il va peut-être même se sentir mal un instant. Mais la pensée la plus courante, la plus probable, la plus fatale qui va lui venir à l'esprit est la suivante : "On a quand même de la chance de vivre en République." Salomé Lemaître UFR D'Anglais Licence 3 - Enseignement et Recherche